Pour les collectionneurs de photographie culturiste John Palatinus reste une des plus brillantes signatures de la production américaine des années 1950. L’homme entre aussi au panthéon des victimes du puritanisme qui soufflait à l’époque sur les Etats-Unis. Traqué par la police avec la complicité des inspecteurs des postes US qui acheminaient ses tirages vendus par correspondance, Palatinus a été traîné en justice en 1959. Si le procès largement médiatisé lui a épargné la prison, le photographe s’est vu confisquer ses appareils, ses négatifs, sa liste de destinataires. Son œuvre connaît une éblouissante renaissance depuis deux ans, grâce au blog d’Alan Harmon, collectionneur fondu de culturisme. L’exposition qui se tient actuellement à la galerie Au Bonheur du jour est la première de la tournée européenne de John Palatinus, attendu à Londres, Varsovie, Anvers, Cologne et Berlin. Les privilégiés du vernissage ont pu découvrir un octogénaire charmant et jovial, parmi des photographies qu’un obscurantisme tenace avait plongées dans un oubli d’un demi-siècle. Entretien avec un authentique esthète.
Quelles ont été vos inspirations pour vos premières photos de culturiste ?
Dans ma ville, je connaissais beaucoup de jeunes gens qui s’adonnaient au culturisme en salle. Ils avaient entre 18 et 22 ans et ils parvenaient à se faire de beaux corps. J’en ai photographié quelques-uns et très vite leurs copains ont voulu être photographiés à leur tour. Ça n’avait rien de particulièrement gay, plupart d’entre eux étaient hétérosexuels.
Quel a été votre apprentissage de la photographie ?
Je n’ai pas eu de maître. J’avais suivi une formation d’étalagiste, c’était mon métier. J’avais un appareil photo et je pratiquais en amateur. Je me suis pris au jeu avec ces photos de culturistes, et j’ai vite fait des progrès au point que je me suis décidé à envoyer une série d’images à un magazine culturiste de New York, Tomorrow’s Man, qui m’a tout de suite publié. La revue m’offrait une publicité gratuite, qui m’a permis de vendre des images par correspondance. C’était devenu un petit business, jusqu’à ce que la justice y mette un terme en 1959.
Qu’est devenu ce business une fois vos appareils et matériels confisqués ?
Je suis revenu à mon métier d’étalagiste! Mais Tomorrow’s Man a continué à vendre mes images jusqu’au milieu des années 1960.
Avez-vous jamais pensé recommencer ces prises de vues par la suite, avec le changement de mentalités.
Jamais. J’avais tellement souffert de ce procès, que j’avais tourné la page une fois pour toutes. Je n’ai plus jamais pris de photos de garçon ou de bodybuilders. C’était fini.
Comment voyez-vous aujourd’hui le déferlement de la photo érotique pornographique?
Je continue à regarder et apprécier des photographies de garçons bien faits et on fait aujourd’hui de très belles choses. Mais on en voit tellement, ne serait qu’à travers la publicité et plus encore sur Internet que je suis un peu dépassé. A mon époque, le nu masculin était une chose rare, et même clandestine, tout cela a perdu de son mystère.
Comment avez-vous vécu la renaissance de votre œuvre ?
Un ami m’avait prévenu il y a deux ans que quelqu’un tenait sur Internet un blog et y diffusait mes anciennes photos et je suis allé voir ça. J’ai en effet reconnu mes photos et j’ai vu qu’on se demandait si John Palatinus était encore vivant. L’homme qui tenait ce blog s’appelait Alan Harmon et je lui ai envoyé un mail pour lui dire que j’étais toujours de ce monde. Nous avons alors découvert que nous étions voisins. Alan Harmon est aujourd’hui mon archiviste, mais c’est avant tout un collectionneur qui possède environ 20000 photos sur ce sujet de culturisme des années 1940 à aujourd’hui.
Vos tirages numériques signés sont très accessibles. Est-ce une volonté de voir votre œuvre connaître une large diffusion ?Depuis que je connais Alan, nous avons fait cinq expositions. A la première, la première à la galerie Antebellum de Los Angeles. On avait mis le prix à 300 dollars et on n’avait rien vendu. C’était trop cher pour un tirage numérique. On a donc baissé le prix pour toucher un public de jeunes collectionneurs et c’est devenu un vrai succès.
Ne pourriez-vous pas faire des tirages argentiques à partir des scans ?
Cela a déjà été fait à partir de vintages de collectionneurs qui existent toujours. Au vernissage du Bonheur du jour, un invité avait avec lui cinq vintages. Je ne sais pas comme il les eux, mais je les lui ai signés.
L’histoire de vos démêlés avec la justice d’autrefois contribue-t-elle à restaurer votre notoriété aujourd’hui?
Je vis depuis deux ans une période merveilleuse. C’est magnifique de voir ces vieilles photos connaître une deuxième vie, et je suis ravi de rencontrer des collectionneurs de toutes générations
Comment occupez-vous votre temps ?
Je soutiens une compagnie de ballets, l’American Ballet Theatre, qui est avec le New York Theatre Ballet l’une des deux plus grandes compagnies aux Etats-Unis. Je connais tout le monde et tout le monde me connaît, du directeur aux danseurs aux techniciens.
Vous êtes un homme riche alors ?
Non, mais je vis bien et j’adore voyager. Je me rends à tous les spectacles que donne le Ballet par le monde, en Russie, aux Emirats, en Europe, en Chine. A cela s’ajoute maintenant mes neuf ou dix expositions par an.
Où vous sentez-vous le mieux ?
Sans hésiter, mes deux destinations préférées sont Londres et Paris. Je connais Paris depuis 1952. J’avais 33 ans, je venais du fin fond de l’Indiana et ça avait été un éblouissement. J’aime tout de la France, ses gens, ses stars, sa mode, sa suisine, ses meubles du 18e siècle, tout !
Publié sur Photographie | John Palatinus au Bonheur du jour | par Hervé Le Goff | Exposition
© Hervé Le Goff et Photographie Magazine
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