samedi 6 février 2010

Un livre et une expo sur l'âge d'or des maisons closes Quels bordels !


©  BIBLIOBS.NOUVELOBS.COM
31/12/2009

Les lupanars ont connu leur heure de gloire. Nicole Canet revient sur l'époque où ils avaient pignon sur rue à travers un livre et une exposition, qui rassemblent de nombreuses photographies signés par les plus grands, de Doisneau à Brassaï. Olivier Bailly, auteur d'un essai consacré à Robert Giraud, revient  pour BibliObs.com sur ce qu'Alphonse Boudard appelait « l'âge d'or des maisons closes »

« Au bonheur du jour ». Les amateurs de photographies lestes, comme on disait naguère, connaissent bien cette galerie. Jusqu'au 31 janvierNicole Canet y expose environ 400 photographies (de DoisneauBrassaï,ZuccaAtget, etc.), peintures, dessins et objets divers (jetons de maisons de passe, canne truquées, accessoires divers, annuaires roses, fouets, etc.) témoignant de la place que les maisons closes tiennent dans la société française de 1860 et 1946. Une exposition qui ne montre, quasiment, que des images de bordels de la capitale, révélant en filigrane que les maisons closes « jalonnent une topographie du désir parisien ».



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Piliers de la troisième République, avec l'église et le bistrot, tous, du luxueux lupanar aux maisons provinciales, en passant par les bouges scabreux, ferment leurs portent en 1946. Il s'agit pour Marthe Richard, dont la loi prohibitionniste porte le nom, de moraliser la société en éradiquant la prostitution. En réalité en fermant les maisons, on déplace le problème. Aujourd'hui, le débat reste ouvert sur la réouverture. Mais quel politique osera mener campagne pour que les prostitués de tous sexes vivent en sécurité en exerçant librement leur métier ?

« J'ai ouvert ma galerie ''Au Bonheur du jour'' le 13 avril 1999. Cinquante-trois ans plus tôt, au jour près, était votée la loi détruisant le fichier national de la prostitution et fermant 1400 établissements, dont 180 à Paris», explique Nicole Canet. La loi créait aussi le délit de racolage, toujours d'actualité.





Les documents que présente cette galeriste, et qu'on retrouve dans un livre édité par ses soins, retracent l'histoire de ces établissements qui ont marqué l'imaginaire populaire. Il y avait maisons closes et maisons closes. Quel rapport entre le Chabanais, le Sphinx ou le One Two two, maisons de société à la mode, et le Fourcy, taule d'abattage ou les filles« faisaient » à la chaîne des clients pas toujours ragoûtants, sans aucune condition d'hygiène. Les galantes des établissements huppés avaient droit à la visite hebdomadaire du gynécologue. Les autres échouaient à Saint-Lazare, sinistre « prison-hôpital spécialisée dans les maladies vénériennes » à propos duquelFrancis Carco consacrera un reportage illustré de photos d'Henri Manuelprésentées ici.

L'intérêt de cette exposition est de montrer les deux faces de la médaille :

« J'ai aussi voulu reconstituer la vie quotidienne des filles, leur art de la séduction, leurs toilettes raffinées, mais aussi l'envers du décor, les maladies comme la prison, les bouges sordides comme les salles d'attente, où l'on jouait aux cartes ou on épluchait les légumes, dans l'espoir d'un généreux client », explique Nicole Canet.

Situé en face de feu le Chabanais, « la maison la plus célèbre dans les annales de la vie galante parisienne », «Au bonheur du jour» est un lieu spacieux, éclairé par deux vitrines en angle. Sur les cimaises des deux grandes salles disposées en enfilade, le visiteur découvre les façades d'établissements comme le 10, rue Mazet ou le 106, rue de Suffren commandées à Atget par Man Ray, ou les intérieurs plus luxueux de maisons renommées, davantage représentées.



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Au Chabanais, la vedette est tout autant le Prince de Galles, client assidu, que son fameux « siège d'amour » ou l'immense baignoire de cuivre rouge en forme de cygne (que Dali racheta) où ces dames prenaient des bains de champagne. Les maisons faisaient appel aux meilleurs artisans de la capitale qui travaillaient souvent anonymement (pour ne pas salir leur réputation) : ébénistes, peintres, décorateurs étaient mis à contribution ainsi que d'autres plus modestes, mais tout aussi utiles : blanchisseuses, éditeurs d'annuaires publicitaires «roses», taxis rabatteurs guidant le touriste en quête d'un lieu de plaisir, fabricants de jetons de passe, libraires spécialisés dans la diffusion de cartes postales pornographiques, blanchisseuses, bref, tous les corps de métiers contribuaient à dorer le blason d'une industrie du sexe qu'il serait aussi vain de condamner que d'idéaliser. Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la marginalisation dans laquelle est tenue la prostitution. Virtuel ou périphérique, le sexe tarifé est poussé dans ses retranchements. Avant la fermeture, la prostitution faisait partie du paysage urbain.

Le One Two Two, plus récent (ouvert en 1924) fut un sérieux concurrent du Chabanais. Le fréquentaient Cary Grant, Humphrey Bogart, Marlene Dietrich ou encore Fernandel, Jean Gabin, Mistinguett, Fréhel... Tous s'y rendaient pour « dîner ou prendre un verre ». Comme disait Alphonse Boudard« c'est rare que des types du niveau de Maurice Chevalier ou Tino Rossi grimpent devant tout le monde avec une pute. Mais il y a d'autres clients qui sont des célébrités comme Georges Simenon ou Michel Simon qui y vont carrément et on le sait et ils ne s'en cachent pas du tout »(interview inédite avec l'auteur). On pouvait donc y dîner, boire un verre, danser. Et éventuellement monter. Pour les artistes les maisons étaient « un point de chute. Ils retrouvaient une ambiance qui leur était chère. Lautrec retrouvait une famille. Quand il venait de la rue d'Amboise, il passait rue des Moulins, à la Fleur blanche. Ils retrouvaient tous quelque chose qui a déclenché après des écrits, des peintures, des dessins », note Nicole Canet.



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D'autres images attendent le visiteur du « Bonheur du jour » comme ces publicités de lingerie libertine dont les marques rivales se nommaient Yva Richard et Diana Slip, laquelle fit appel à Roger Schall ou à Brassaï pour illustrer ses catalogues. Auteur du « Paris secret des années 30 » (Gallimard, 1976), ce dernier connaissait le Paris nocturne comme sa poche. Ce travail publicitaire lui permettait de vivre. D'autres raretés côtoient ces clichés: un tirage de Serge Jacques qui s'illustrera par la suite dans le magazine osé «Paris Hollywood» ou des épreuves réalisées par André Zucca (dont on a beaucoup parlé au moment de l'exposition polémiqueParis sous l'occupation) pour un roman policier qui ne verra jamais le jour.

On découvre aussi les clichés d'un mystérieux Monsieur X., personnage romanesque dont on ne sait rien sinon qu'il était un tranquille bourgeois dont la passion était de payer des filles pour les photographier...

« Avant son décès, précise la galeriste, il a jeté tous ses négatifs, entre 3 et 4000, dans la Seine. Il a vendu les photos tirées à un libraire qu'il aimait beaucoup, décédé aujourd'hui, qui les a distribués à deux confrères amateurs d'art érotique. Il avait un vrai talent. Il n'a rien photographié d'autre. C'était une obsession. Il prenait son plaisir à photographier, mais aussi à voir ces femmes s'amuser comme ça.»





D'autres photos encore, celles-ci anonymes, appelées « tableaux vivants » : des scènes de genres (à deux, trois, quatre, voire cinq personnages dans toutes les positions imaginables). Ces clichés étaient destinés à faire patienter les clients qui les lorgnaient en attendant de se décider à monter. Dans une pièce discrète de la galerie, semblable à un boudoir et à laquelle on accède par un étroit couloir, Nicole Canet présente des photos beaucoup plus crues : scènes de flagellation ou images prises dans des bordels masculins dont le plus célèbre, situé au 11, rue de l'Arcade était en partie détenu par Marcel Proust.

Quant à la fessée, explique Nicole Canet dans son catalogue« c'était un art de prédilection des photographes de la belle époque ». Les adresses ne manquaient pas. Au 30, rue Lepic, maison tenue par Madame Simone Jean de Laroche, Carola, Violette, Clémentine, Emma, Andréa et Rose, de jeunes personnes délicieuses, se faisaient fesser par la patronne sous vos yeux moyennant finance. Le 9, rue de Navarin disposait d'une des plus belles salles de torture de Paris avec colliers de fer, menottes, chevalet, croix de Saint-André, etc. Il y en avait pour tous les fantasmes. Nicole Canet, qui est une collectionneuse avisée, n'a présenté ici que des images qui, si elles ne sont pas destinées aux enfants, ne choqueront pas le public averti.

***

Avec cette exposition Nicole Canet rend hommage à un précurseur, Robert Miquel, dit Romi (1905-1995). Elle possède une partie du fonds de ce prince des collectionneurs (on trouve aussi au Musée de l'érotisme de nombreux documents lui ayant appartenu). En 1952 Romi est le premier à organiser une exposition sur les bordels dans sa minuscule galerie du 15, rue de Seine, à Paris (il en tirera un livre, « Maisons closes », fort recherché aujourd'hui). C'est ici, au lendemain de la guerre, que se rencontrent tous les amateurs d'insolite. Robert Giraud y nouera son amitié avec Robert Doisneau, lequel immortalisera la galerie dans sa série Le regard oblique. Selon son ami Alphonse Boudard (ils cosignèrent « l'Âge d'or des maisons closes » publié chez Albin Michel en 1990), Romi ne grimpait pas avec les dames galantes :

« Lui, il allait faire des dessins. Il finissait par être copain avec la patronne, elle était contente, puis après il gardait les dessins et c'est comme ça qu'il a des témoignages. Il gardait les cartes de visite, les cendriers, parce que c'est un collectionneur et c'est un peu un esprit savant. » (interview inédite de l'auteur avec Alphonse Boudard).





L'exposition de Romi eut lieu six ans après la fameuse fermeture. Marthe Richard, inspiratrice de la loi, déclara au propriétaire des lieux, le jour du vernissage, qu'elle s'en repentait. Le mal était fait. Car contre toute vaine attente, les filles qui travaillaient en maisons ne sont pas rentrées dans le «droit chemin». Pour Nicole Canet, elles « se sont éparpillées dans les rues. Certaines sont parties en Argentine ou en Afrique du Nord avec la traite. Mais dans les rues il y en avait énormément. Partout, dans les bois. Quand ils les ont tous fermés c'était très mauvais pour toutes ces filles qui n'avaient pas envie d'être dehors. D'autres y étaient qui avaient envie de l'être, mais celles-ci non.»

O.B.

Exposition Maisons Closes : « Bordels de femmes. Bordels d'hommes. 1860-1946 », Galerie «Au Bonheur du jour», 11 rue Chabanais - 75002 Paris. Tél. : 01 42 96 58 64. Jusqu'au 31 janvier 2010, du mardi au samedi 14h30-19h30.

« Maisons closes 1860-1946 » : ouvrage de 328 pages, 400 illustrations, couverture reliée, 17 rubriques et 5 sous-rubriques, avec les textes, et leur traduction en anglais. 1500 exemplaires dont 50 hors commerce dédicacés. Editions Nicole Canet. 65 euros.

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